Pourquoi la France est-elle championne du burn-out en Europe ?

20/02/2025


Extraits de l’article de Welcome to the Jungle

L’Hexagone afficherait désormais l’un des taux de burn-out les plus élevés d’Europe. Mais pourquoi diable petons-nous autant de câbles au travail ?

Si aujourd’hui le burn-out reste difficile à quantifier du fait qu’il n’est pas officiellement reconnu comme maladie professionnelle, les études s’accordent néanmoins toutes sur le fait qu’il touche une part de plus en plus élevée de travailleurs français.

Selon l’Institut de veille sanitaire, 480 000 personnes en France seraient en détresse psychologique au travail, et le burn-out en concernerait 7%, soit 30 000 personnes.
Le 12e baromètre du cabinet Empreinte Humaine réalisé par OpinionWay est plus pessimiste. Il estime que 2,5 millions de personnes présenteraient un risque de burn-out « sévère ».
Enfin, le cabinet Technologia, va encore plus loin et porte à 3,2 millions le nombre d’employés présentant un « risque de burn-out », soit 12% de la population active.(…)


La tyrannie des “objectifs chiffrés”

Les causes de cette dégradation sont multiples : concurrence internationale accrue, avec une plus forte pression exercée sur les salariés, développement majeur des nouvelles technologies, qui ont orienté l’ensemble de la culture d’entreprise vers la productivité, mais aussi, plus récemment, conjoncture économique peu favorable, avec un taux de chômage élevé (7,5%) et des créations de postes en baisse (…).

Résultat, en France, un salarié sur deux est en situation de « travail tendu », ce qui  signifie que le salarié est dans l’urgence permanente, confronté à des moyens qui manquent, des compétences qui font défaut, et tenu par des délais couperets. Ce travail dans l’urgence, très prégnant en France, met les gens dans un stress chronique, évidemment très préjudiciable à la santé. »
(…). Si cette « direction par objectifs » est particulièrement présente en France, c’est aussi parce qu’elle est le résultat d’un mode de management spécifique à l’Hexagone, extrêmement verticalisé.


Un management trop hiérarchisé
(…). « Encore aujourd’hui, nous perpétuons une culture des élites, où tout se passe à Paris, dans les grandes écoles. Résultat, nous avons des personnes qui intègrent le monde du travail directement au top management, et qui sont dans ce que j’appelle un « management plaidoyer. » C’est-à-dire des gens qui pensent avoir tout compris, et expliquent aux autres, qui exécutent. »(…)

Parce que les ordres « viennent d’en haut », les salariés ne se sentent pas inclus dans les décisions de l’entreprise, y compris dans celles qui les concerne. « Cette logique très descendante ne favorise pas la concertation. En France, le changement est imposé, et non décidé collégialement », regrette Jean-Claude Delgénès. Dans l’étude Santé et Itinéraire Professionnel de 2007 mené par la DREES et la DARES, 42% des salariés interrogés affirmaient même devoir faire face à des ordres contradictoires.
« Le fait de subir une décision, d’être simple exécutant, est très mal vécu chez les salariés. Cela génère une perte de légitimité et un sentiment d’injustice, très récurrent dans les schémas du burn-out », constate le Dr Paul Clément. À cette toute-puissance du management vient s’ajouter un fort déclin du collectif, et du contre-pouvoir autrefois exercé par les représentants du personnel - et ce d’autant plus depuis la suppression des CHSCT en 2017.

Le management vertical, cette autorité des « sachants » envers les « exécutants » a aussi pour effet de négliger la véritable quantité de travail nécessaire à l’accomplissement d’une tâche. Parce que les managers n’ont pas nécessairement acquis leur poste grâce à leur expérience, mais plutôt à leur parcours académique, ils n’ont parfois pas de vision du travail réel effectué par les salariés(…)
Bien souvent, pour que tout roule, il ne suffit pas de suivre la procédure : les employés font plus que leurs fiches de postes, sans pour autant obtenir de reconnaissance derrière.

« En France, nous avons une reconnaissance de façade », affirme Jean-Claude Delgénès du cabinet Technologia. « Il ne s’agit pas d’une véritable reconnaissance du travail fourni, où on va demander au salarié d’expliquer aux autres comment il a fait, de partager son savoir. »
Face à ce manque, certains salariés tombent alors dans le piège du surinvestissement, donnant toujours plus, pour obtenir des remerciements toujours plus rares. « C’est alors qu’ils sont souvent déjà épuisés sur le plan psychique, que les salariés vont tenter de redonner un dernier coup de collier pour pouvoir retrouver une reconnaissance qu’ils ont l’impression d’avoir perdue. Et c’est ce qui les fait basculer dans l’effondrement », analyse l’économiste. (…)

Je travaille donc je suis
« Nous avons la spécificité d’accorder au travail une centralité en termes de construction identitaire qui n’existe pas dans d’autres pays. Aux États-Unis, par exemple, vous avez un travail fonctionnel, rémunérateur, et à côté, vous pouvez accomplir ce que vous avez envie d’accomplir sur le plan identitaire au sein d’associations », éclaire Marie Pezé. En France, le travail définit encore largement qui l’on est. Peut-être aussi parce que, pendant longtemps, il a été un acquis fragile.

Mais alors comment, si ce n’est éradiquer, au moins diminuer la proportion de burn-out en France ?
(...)« Il y a des pays bien plus avancés que nous en matière de prévention de la santé, d’amélioration des conditions de travail… Collecter l’information sur ce qui se fait ailleurs pourrait nous donner des enseignements précieux pour prévenir la survenue des burn-outs en France. »

Une autre piste serait également d’enseigner la bienveillance aux futurs managers dès l’université : « Dans les écoles, on commence seulement à enseigner l’empathie, la bonté, la compassion… Mais il faut que cela se généralise », insiste Jean-Claude Delgénès. Enfin, pour le docteur Paul Clément, il faudrait également faire évoluer le suivi du burn-out, en évitant de tomber dans la “psychiatrisation” systématique : « Les gens en burn-out sont trop souvent orientés vers un psychiatre, ce qui induit l’idée que c’est eux le problème. Or c’est un problème professionnel, et non individuel.
Il conviendrait donc plutôt de les orienter vers des médecins généralistes compréhensifs, susceptibles de les prendre en charge de façon empathique, sans passer automatiquement par la case anti-dépresseurs. »

Management vertical, absence d’instances collectives, manque de prévention, présentéisme… Les obstacles sont encore nombreux pour faire baisser significativement les chiffres du burn-out.
Pourtant, ce dernier a des conséquences majeures, autant sur le plan physique et psychique des salariés, que sur l’économie des entreprises.
 Un burn-out, c’est 18 mois d’arrêt maladie en moyenne, affirme Marie Pezé.
C’est un gouffre pour la Sécurité sociale
Si on agissait au cœur, c’est-à-dire sur l’amélioration des conditions de travail, cela serait bien plus bénéfique, pour tout le monde ».