Le directeur général de la banque verte regrette la faible propension des entreprises à expliquer, notamment aux jeunes, leur utilité sociale et à laisser s’exprimer en leur sein les aptitudes de chacun.

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(…). A la tête, depuis 2015, de la deuxième banque française, ce patron pragmatique s’inquiète de la déconnexion de plus en plus grande entre le monde de l’entreprise, marqué par un taylorisme managérial et une communication financière omniprésente, et la jeunesse, qui aspire à davantage d’autonomie et de responsabilité dans le champ professionnel.

(…) la réalité, c’est que les entreprises ne vivent que de l’utilité qu’elles produisent, mais, trop souvent, celle-ci est peu exprimée et de fait mal perçue. Notamment en milieu tertiaire, où l’utilité est par nature immatérielle. Il faut donc la faire réapparaître, l’expliciter.

(…)  Tous les mois, je recevais les jeunes embauchés, et je leur disais : "Je vais vous poser une question théorique comme seul un directeur général, loin des réalités du monde, sait le faire : pour vous, la finalité d’une entreprise, c’est quoi ?" Silence. Puis, au bout d’une minute, il y en avait toujours un, souvent le plus jeune, plutôt issu d’une formation commerciale, qui disait : "Faire du fric." Pas du bénéfice : du "fric". Et comme ça paraissait à la fois une évidence et un gros mot, un autre embrayait : "Ah oui, mais en respectant l’intérêt du client !" Systématiquement dans ces échanges, cela revenait : "Faire du fric… dans le respect." Une sorte d’équilibre contradictoire à trouver. (…) .
Montrer ce lien qui part de l’utilité pour aboutir au profit, cela paraissait être une révélation pour ces jeunes embauchés, qui assimilaient jusque-là "utilité" à "utopie".

(…)  les salariés constatent que l’entreprise ne souhaite pas vraiment développer leur intelligence et leurs aptitudes en tant que telles. L’entreprise veut qu’ils développent leur capacité à exécuter. Bien sûr, ce n’est pas exprimé de manière si radicale et froide. Mais, quand je regarde les processus en vigueur dans les entreprises, c’est bien cette logique qui s’applique.
(…) On ne se rend pas compte à quel point la société, plutôt que d’accepter que le monde est devenu trop complexe pour être strictement codifié, s’accroche à cette bouée, elle-même portée par les hérauts de la technologie et de l’intelligence artificielle, qui ne font que récidiver avec de nouveaux outils, plus sophistiqués.

Les dirigeants doivent s’astreindre à expliquer l’utilité de leur entreprise. (…) L’utilité ce n’est pas du marketing pour l’embauche : c’est ce que nous devons produire. (…)
 Si vous réussissez à expliquer et à prouver que le pilotage des impacts environnementaux et sociaux est au cœur de chaque décision prise par l’entreprise, parce que c’est son intérêt, les jeunes vont adhérer. C’est complexe, car, sur ces questions, on parle de transition, pas de rupture. Nos actes ne sont donc pas aussi spectaculaires que la formulation qui en est donnée, par exemple, par les ONG.

Est-ce un frein pour attirer les talents ?
Je sais que ce mot est très en vogue dans le discours RH. Mais je le trouve insupportable. S’il faut attirer les "talents", soyons clairs, cela signifie qu’il y a des gens qui en ont, et d’autres qui n’en auraient pas. On part de l’hypothèse que le talent, c’est un état. Mais le talent, ce n’est pas une qualité. Le talent ne naît que dans la prestation elle-même, dans ce que vous réalisez. C’est dans l’entreprise, dans sa culture, dans son collectif que le talent s’exprime et qu’il se fabrique. Comment ? En faisant progresser les aptitudes de chacun.

(…) De manière plus générale, il y a régulièrement des mots-clefs qui apparaissent comme ça et qu’il faut absolument prononcer dans un discours de dirigeant. On a eu "digital", qu’il suffisait de mettre à toutes les sauces, sans même avoir besoin de détailler sa stratégie. Puis "data" : si vous n’étiez pas "orienté data", vous n’aviez rien compris. Aujourd’hui, c’est "talents". Si ce n’était qu’une mode linguistique ponctuelle, j’en sourirais. Le problème, c’est que ça détermine ensuite tout un mode de management. On achète ce qu’on pense être un talent, on ne fait pas grand-chose pour le développer. Et, si on estime qu’on s’est trompé, on en prend un autre. C’est tellement plus facile que d’aider des individus à avoir du discernement et à prendre les bonnes décisions en toutes circonstances, grâce à des choix de recrutement plus ouverts, des grilles d’appréciation et de rémunération adéquates et des politiques de formation interne adaptées.

Vous imaginez le jury de The Voice appuyer sur le buzzer avant même d’entendre le chanteur ? Non. La plupart des politiques de recrutement, malheureusement, en sont encore là.